Contribution au Bulletin DDR
Joseph Foerster Louis-Jean
Biography:
Le spécialiste de DDR-RVC, Louis-Jean Joseph Foerster a plu de 25 ans d’expérience professionnelle dont 17 ans comme officier de programme des Nations Unies (MINUSTAH, MINUJUSTH & BINUH). Il travaille actuellement pour la Mission des Nations Unies : le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) en tant Spécialiste de DDR – RVC en appui technique à la Commission Nationale DDR, les opérateurs du programme, projets et activités DDR-RVC dont les agences UN, les ONGI et locales, aux parties prenantes du gouvernement ainsi que les organisations communautaires de la société Civile pour la mise en œuvre du Plan National de DDR-RVC. Par ailleurs, il a contribué aussi à l’élaboration de la stratégie interinstitutionnelle de réduction de la violence communautaire pour le Département du Pool en appui au Bureau des coordonnateurs résidents en République du Congo.
Il a travaillé avant avec le DDR en tant qu’officier de projet de développement communautaires, de réinsertion et de renforcement des capacité institutionnelle et personnelle des structures locale. Puis, comme chef d’équipe de l’Unité de projets dans la Section de Réduction de la Violence Communautaire (RVC) qui est le programme de DDR de deuxième génération. Ensuite, il a contribué à l’élaboration, le développement et la mise en œuvre du programme RVC-Haïti. Il a aussi participé activement à la mise en place du programme conjoint MINUJUSTH et le PNUD. Ensuite, BINUH et UNCT (UNFPA, UNOPS, PNUD, UNESCO, UNFPA, UNICEF et Secrétariat du PBF), notamment dans la conception et le développement du projet PBF-DDR & RVC en cours d’implémentation en Haïti.
Questions :
- En vous appuyant sur votre expérience personnelle en Haïti, quels sont les principaux défis qui vous viennent à l’esprit lorsque vous réfléchissez aux phases de transition importantes ?
Il y a eu de nombreuses transitions gouvernementales à Haïti depuis son indépendance, plus que dans tous les autres pays de la région des Caraïbes et de l’Amérique. En ce qui concerne les défis, je vais me concentrer sur les transitions des deux dernières décennies (de 2004 à aujourd’hui), qui ont conduit à l’arrivée de trois missions successives des Nations Unies. Haïti est marqué par des conflits de contestations socio-économiques, de violence pré et post-électorale provoquant des crises politiques cycliques. En effet, le départ en exil respectivement en 1990 et 2004 de l’ex-président Haïtien Jean Bertrand Aristide et les autres gouvernements qui se sont succédé ont provoqué des tensions socio-politiques, des crises sociales, des disparités économiques et des violations des droits humains qui ont créé de profondes divisions au sein de la société alimentant une dynamique de violence récurrente. L’opération Bagdad de 2004 et le mouvement des coalitions de gangs armés en 2020 instrumentalisés par des intérêts politiques ont été à l’origine des actes de terreur sur la population des zones en proie à la violence. La toute-puissance des chefs de gangs qui caractérisent cette époque se rapprochent de ce que vit le pays près de deux décennies après. De nombreuses tentatives de dialogues et de médiations initiées pendant la transition visant à sortir de ce cycle de violence, d’instabilité politique et d’autodestruction, qui entrave le progrès et le développement de la société, n’ont malheureusement pas fonctionné.
Lors des transitions entre les missions de maintien de la paix en Haïti (MINUSTAH, MINUJUSTH et BINUH) les principaux défis qui me viennent à l’esprits sont les suivants : (1) Le déficit de gouvernance lié à la polarisation du climat politique et social, ainsi qu’au dysfonctionnement des institutions étatiques, notamment la justice et la police ; (2) La méfiance et l’incapacité des acteurs à parvenir à un consensus inclusif en matière de gouvernance. Puis, combinées à des attentes démesurées qui ont entravé les efforts de transformation sociale et économique dans le pays ; (3) La continuité du désarmement, de la démobilisation, de la réintégration et la lutte contre la violence communautaire ainsi que la gestion des armes et munitions, ont représenté également des défis importants. On y ajouterait le manque de coordination, de communication et la disparité de perception des différents acteurs impliqués dans ces processus, ainsi qu’au manque de ressources et de capacités limitées pour aborder ces questions. Enfin, la concentration des initiatives de désarmement et de réduction de la violence fragilise l’approche territoriale dans ces efforts.
- Sur la base de vos expériences passées, quelles idées pouvez-vous partager avec les collègues et les hauts responsables qui travaillent sur les transitions, en particulier en termes de processus, qui se sont avérés utiles pour soutenir les efforts de transition ?
Sur la base de mes expériences dans le cadre des processus de transition entre différentes missions en Haïti, voici les mesures qui ont été utiles pour soutenir ces efforts :
1) Renforcement des capacités de résilience des jeunes et des communautés à la manipulation politique et à l’attraction de l’enrôlement et du recrutement des gangs armés: Soutenir des initiatives de gestion et de prévention des conflits, en mettant l’accent sur les approches communautaires afin de les rendre plus efficaces. J’ai ici ce témoignage d’un bénéficiaire[1] et cette confidence d’un operateur que j’aime citer pour illustrer son importance pendant la transition MINUSTAH[2]
2) Soutien aux autorités étatiques dans les zones confrontées à la violence des gangs : Renforcer leur gouvernance légitime pour contrecarrer l’autorité des leaders armés au détriment des acteurs non-armés. Je peux illustrer ce soutien à travers la mise en place des mécanismes d’engagement, de dialogue et de redevabilité institutionnelle et communautaire réciproque impulsé par le programme DRR-RVC lors de la transition MINUSTAH, MINUJUSTH et BINUH que ce soit à travers les comité locaux de suivi de projet (CLAP), les structures de coordination des opérateurs et parties prenantes étatiques communautaires ou la constitution des plateformes communautaires pour adresser leurs problèmes de conflit.
3) Adaptation de la communication en fonction des dynamiques et des besoins spécifiques de chaque communauté.
4) Identification et promotion d’initiatives innovantes mises en œuvre ou en cours de développement dans les communautés pour pallier le manque ou déficit de coordination et rechercher des synergies afin de maximiser les ressources.
5) Adoption d’une posture proactive, créative, dynamique et flexible, avec constante innovation pour faire face aux défis, aux imprévus et aux incidents.
6) Priorisation des initiatives innovantes à impact durable ou réplicables, prenant en compte les questions de genre pour favoriser la paix et la cohésion sociale lors de transformations de conflits communautaires.
7) Encouragement de la coordination effective avec une approche nexus et promotion de mécanismes inclusifs e catalytique pour éviter les duplications et l’érosion des ressources.
8) Définition d’un cadre harmonisé, inclusif et de suivi de la mise en œuvre de la politique DDR-RVC en collaboration avec les acteurs locaux, gouvernementaux, la société civile, le secteur privé et les agences et fonds.
- Ayant été témoin de transitions, quels enseignements spécifiques jugeriez-vous important de partager avec les praticiens du DDR/CVR ?
Les enseignements des transitions des deux dernières décennies en Haïti, menant à l’arrivée de trois missions successives des Nations Unies, ont mis en lumière des opportunités pour renforcer et pérenniser la base institutionnelle nécessaire à la gouvernance, au développement de l’état de droit, à la sécurité, à la paix et à la cohésion sociale. Parmi ces enseignements, on peut citer :
- La mise en place de la Stratégie Nationale DDR-RVC et de ses mécanismes interinstitutionnels de coordination des initiatives de réduction et de prévention de la violence, en tenant compte des aspects sensibles au genre en Haïti.
- La création de mécanismes d’adaptation du DDR-RVC par le biais de bonnes pratiques politiques, institutionnelles et communautaires pour répondre à la méfiance, le déficit de confiance réciproque entre les opérateurs et les parties prenantes de la question DDR.
- La création de conditions d’appropriation nationale de la stratégie Nationale DDR-RVC selon les normes internationales, à travers des consultations locales et nationales entre les autorités, les citoyens et les acteurs communautaires (universitaires, société civile, secteur privé).
- La reconnaissance de la complexité du phénomène de l’insécurité et du renforcement du pouvoir des leaders et membres de gangs armés dans les communautés, au détriment des leaders traditionnels et sociaux non armés.
Il est également crucial d’inscrire les stratégies dans une perspective de durabilité et de pérennité, ainsi que dans une approche “programmatique” plutôt que basée sur des projets ponctuels. En effet, les expériences de DDR/RVC mises en œuvre dans les communautés en proie à la violence en Haïti ont montré que les initiatives non holistiques et à court terme sont moins susceptibles d’avoir un impact significatif et durable sur la transformation des conflits et de la violence. Il est donc recommandé de privilégier des initiatives de réduction et de prévention concomitantes pour atténuer le risque d’une extension de la violence dans des quartiers et des communautés qui n’ont pas encore été touchés par l’incursion des gangs armés.
Les projets RVC en Haïti étant conçus pour de courtes périodes, afin de maximiser rapidement le processus de stabilisation dans des communautés spécifiques. Ils cherchent aussi à engager un grand nombre de membres de la communauté, en particulier ceux qui traditionnellement sont marginalisés, vulnérables, ou sujets à la mobilisation politique. Donc, la transition MINUJUSTH et BINUH qui a changé le mandat programmatique de la RVC en appui technique et de transfert de compétence aux autorités haïtiennes, a laissé un vide d’initiative programmatique dans les communautés qui ne sont pas adressé pour faire face aux alternatives créées par l’attraction des gangs armés et les entrepreneurs de la violence dans ces dits communautés en l’absence d’engagement de l’état pour prendre le relais des initiatives de DDR-RVC (MINUSTAH et MINUJUSTH). Par exemple les quartiers comme Bel Air, Cité Soleil et Martissant qui avaient bénéficié de projets RVC pendant la transition affichaient un climat stable et sécure grâce à ces projets.
Aujourd’hui, l’absence d’initiatives DDR-RVC comme alternatives à la vulnérabilité des jeunes à l’attraction de la manipulation politique et des gangs armés, ont fait replonger ces communautés dans une spirale cyclique de violence des gangs armés provoquant le dysfonctionnement de ces communautés y compris leurs institutions de socialisation (la fermeture des centaines d’écoles), de cohésion sociale et régaliennes de sécurité.
Joseph Foerster Louis-Jean
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